Vendredi 12 décembre 5 12 /12 /Déc 05:21

 

Le grand homme brun avait attaché la corde qui liait mes mains à une grosse barre et l'homme blond était monté tirer la chaîne de la cloche près de l'escalier du porche. Bernard sortit. Il allait dissiper le malentendu. Je vis pourtant qu'il donnait des billets à l'homme blond en paraissant le remercier. Les deux chasseurs d'esclaves remontèrent à cheval et Bernard vint à ma rencontre. Je remarquai qu'il avait chaussé ses bottes neuves, ses grandes bottes noires que je n'aimais pas car elles étaient comme le signe de sa supériorité sur moi. Il ne souriait pas mais ses lèvres saillantes et arrondies semblaient me narguer de leur dessin charmeur et je sentais comme de la morgue dans ses beaux yeux qui brillaient. "Détache-moi, Berny !", réclamai-je.

Bernard me détacha sans un mot et en gardant la même expression un peu inquiétante, étrange en tout cas. Je n'en pouvais plus.

- Pourquoi Berny ? Pourquoi ? N'es-tu pas presque mon frère ? Tu sais bien qu'oncle John avait décidé de m'affranchir. Pourquoi as-tu envoyé ces hommes me capturer ? Pourquoi ?

Bernard qui détachait l'autre extrémité de la corde ne détourna pas la tête et je fus frappé au coeur par le ton de sa voix, presque murmurante, comme voilée, d'une douceur fauve :

-Je ne suis pas ton frère, Martin. Un blanc n'est pas le frère d'un négro. C'est moi le maître maintenant. Et j'ai besoin d'esclaves pour cueillir le coton.

Je sentis toute ma poitrine s'oppresser à ces paroles. Où était Bernard ? Bernard mon ami de toujours, le compagnon de mes jeux anciens, Bernard que j'avais cru retrouver comme un frère !

Comme un frère ?...Je me rappelais tout à coup, au moment de nos retrouvailles, le froncement de ses lèvres quand Lady Genthey lui avait annoncé que je venais d'obtenir mon diplôme d'attorney. Et l'ironique sourire avec lequel il m'appelait à tout propos : "Monsieur l'avocat". Je le revoyais caracolant dans la cour sur son mustang noir et me fixant avec une expression narquoise lorsqu'il m'avait entendu lui dire que je ne savais pas monter à cheval...

C'est cette même expression narquoise que je retrouvais dans le beau jeune homme pâle aux lèvres humides et pourpres, aux cheveux gonflés et bruns, aux grands yeux noirs qui maintenant me fixaient.

-Bernard, je croyais avoir retrouvé un ami.

-Eh bien sois content, tu ne vas plus le quitter.

J'eus un mouvement de révolte.

-Bernard, je ne serai jamais ton esclave.

Bernard qui, à deux pas de moi, lovait la corde qui m'avait attaché s'approcha, saisit brusquement le col de la veste, me tira à lui avec une force à laquelle je ne pus résister.

-Il ne faudra plus m'appeler Bernard, négro. Il fraudra m'appeler Maître. Même si ça te fait de la peine, je suis ton maître, mon négro.

Ces paroles prononcées d'une voix sourde m'arrivaient presque chaudement avec le souffle de Bernard comme si une étrange tendresse les imprégnait. Bernard, ce garçon de dix-sept ans qui avait deux ans de moins que moi, Bernard aux traits délicats d'angelot, Bernard qui portait des bottes, savait manier la cravache et dresser ses cavales, Bernard, imbu autant de sa jeune force virile que de sa supériorité de blanc mais que je méprisais au fond parce qu'il n'avait pas mon intelligence, Bernard, mon maître ! Cette pensée me brûlait l'esprit au moment même où je sentais dans ma poitrine, dans mon ventre, comme une très étrange et délicieuse démission. C'est sans doute pour me défendre de ce sentiment trouble que je lançai, provocateur :

-Tu ne seras pas longtemps mon maître, bouseux ! Je serai assez malin pour m'enfuir !

Bernard blémit, se mordit la lèvre, sa main se crispa sur le col de ma veste et, d'une poigne irrésistible, il me força à me courber jusqu'à ce que ma tête vienne contre sa jambe. De l'autre main il ramassa la corde puis il m'entraîna ainsi ployé.

-Tu seras peut-être assez malin pour t'enfuir, Martin. Mais tâche d'être aussi malin pour ne pas te faire reprendre car je vais te montrer ce qui t'attendra dans l'écurie.

Un frisson me parcourut, toujours ployé et entraîné par la main de fer. Que voulait dire Bernard ? Plus que sa colère m'effrayait la résolution que je sentais en lui.

La porte de l'écurie était ouverte. Je n'y étais jamais entré. Je découvrais à gauche les box des chevaux et, en haut de grosses poutres transversales, le dessous du toit percé de lucarnes. Bernard me lâcha, ferma la lourde porte, puis il s'étendit nonchâlamment sur une épaisseur de foin, les mains dessous la tête, une jambe repliée. Il regardait le toit.

-Tu ne connaissais pas l'écurie, Martin, l'odeur du foin et des chevaux. Respire, Martin, respire !

Frottant le col de ma veste pour me donner une contenance, je regardais Bernard interloqué. Il avait porté à sa bouche une tige de foin qu'il suçotait. Brusquement l'idée m'effleura que Bernard me jouait la comédie depuis tout à l'heure. Il avait voulu me faire peur. C'était réussi. Je commençais à respirer par saccade. Je sentais monter un fou rire qui allait éclater quand la voix de Bernard m'interrompit.

-Déshabille-toi, Martin.

Il regardait toujours le toit, la tige de foin à la bouche, les mains toujours sous la tête, et je voyais, dressée, noire et brillante, la botte de sa jambe repliée.

Je continuai à frotter le col de ma veste comme si je n'avais pas entendu.

-Déshabille-toi, Martin.

Le visage de Martin sur lequel tombait la lumière des lucarnes semblait irradié de sérénité douce, très jeune, comme celui d'un enfant. La voix avait la même douceur que le visage.

-Déshabille-toi, Martin.

Il avait craché la tige de foin, relevé la tête, planté sur moi son regard. Et ce fut comme s'il avait appliqué sur ma chair deux charbons brûlants.

J'enlevai ma veste mais pas trop vite. J'ôtai ma chemise lentement, très lentement comme si, en ralentissant mes gestes, je pouvais atténuer mon humiliation.

-Dépêche-toi, Martin.

Son regard était revenu sur moi, moins brûlant, un rien amusé. Maintenant sa voix, devenue moqueuse, pouvait me demander tout. Bernard, insensiblement, avait cessé d'être Bernard. Il était un petit dieu à bottes qui, nonchalamment allongé, me demandait de me mettre nu devant lui et l'humiliation qui me cuisait tout à l'heure pénétrait dans mes viscères avec une volupté trouble mais sûre.

-Enlève ton slip.

Il avait ralenti la voix sur "ton" et fait claquer le mot slip avec une goguenardise atroce.

J'ôtai mon slip et mis les mains devant mon sexe.

Il s'était tourné sur le côté, avait remis une tige de foin à sa bouche et , sa tête reposant sur sa main et son avant-bras, il me regardait.

-T'es pas mal comme ça, négro.

(à suivre)

Par bonclebs - Publié dans : dressage
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